Mais qui prend soin des RH ?!

Au-delà des RH, « R » pour Relations, « R » pour Reconnaissance

Suite à un post sur le fil Linkedin « RH info », j’ai pu réaliser une dizaine d’interviews de Responsables RH Francophones (France, Canada, Côte d’Ivoire). Ces personnes ont accepté de passer 1h de leur temps, et parfois plus, malgré leurs emplois du temps chargés.

Leurs motivations ? Alerter sur la situation préoccupante des RH, dire à leurs homologues de se faire aider… Et aussi : qu’il est possible de construire de beaux projets conjointement avec la direction !

 

Dans le cadre de mon activité, je suis amené à discuter avec des acteurs des Ressources Humaines. J’ai vu s’accroître la lassitude ces dernières années. Une sorte de « à quoi bon ? » vis-à-vis des propositions pour améliorer le travail quotidien des collaborateurs.

Pourtant, à plusieurs reprises, des RRH ont pu faire monter leur énergie pendant quelques instants en écoutant mes propositions. Cela arrive lorsqu’une pensée (folle ?) leur vient et font sortir ces mots : « Ce que vous dites c’est exactement ce dont j’aurais besoin ! ». Puis, à ma question qui suit naturellement de savoir comment elle pourrait bénéficier de mon accompagnement, l’énergie retombe et : « Oh vous savez… déjà que c’est compliqué de faire accompagner les collaborateurs alors nous… » et regards/soupirs entre collègues.

Ressources ? Vous avez dit « ressources » ?

Le choix des mots n’est pas anodin. Parler de « Ressources Humaines » me fait un écho désagréable avec la façon dont l’être humain peut considérer les ressources de la planète : exploitables et, paradoxalement, à la fois limitées et inépuisables.

Que ce soit aujourd’hui ou bien pendant 15 années d’ingénierie, je vois systématiquement le même phénomène se reproduire : face à la complexité, la plupart des mesures mises en place dans les entreprises visent à simplifier, rationnaliser. Or il y a une méprise de taille : c’est le « compliqué » que l’on peut « simplifier », pas le « complexe ».

Quel lien je fais entre « Ressources » et « Complexité » ? Je vous invite à lire l’article de Wikipédia « Le mythe de l’Homme/mois ». C’est un principe simpliste et magique pour faire rentrer la complexité dans un tableur :

  • si 2 personnes font une tâche en 2h alors 1 personne fera la tâche en 4h…
  • et on ajoute ensuite la « loi de Parkinson », si vous donnez 4h à une personne pour faire une tâche, elle mettra 4h. Si vous lui en donnez 3, elle ne mettra que 3h.

Magique ! Grâce à la combinaison de ces 2 principes, notre tableau Excel nous permet de réduire les coûts et de monter en efficacité !

Sur le terrain, cela se passe-t-il vraiment comme ça ? Demandez aux chefs de projets 😉

 

Où se situent les responsables RH ?

Eux aussi « gèrent » des tableaux assimilés à de la « gestion humaine ».

Car les RH travaillent avec beaucoup d’interlocuteurs différents : directions, responsables d’équipes, salariés, prestataires de services, représentants du personnel, médecine du travail, juristes, comptables, fournisseurs…

Leur quotidien est parmi ceux où il y a le plus d’imprévus et d’urgences à traiter ; tout en ayant 5, 10, 15 dossiers / projets en cours en même temps. Pour autant, leurs agendas sont aussi remplis d’impondérables.  

« On donne souvent l’impression que dans les bureaux des RH « tout va bien ». On travaille pour les salariés mais au final qui s’occupe de nous ? » (en italique et entre guillemets seront des extraits de mes interviews)

4 grands axes de problématiques sont ressortis…

 

Problématique n°1 : le manque de reconnaissance

« Nous sommes des travailleuses de l’ombre »

Dans une profession essentiellement constituée de femmes (je n’ai pas eu de retours des représentants masculins), celles-ci reconnaissent tomber dans le piège de se comporter parfois « comme des mamans poules » : « Les salariés peuvent être exigeants, capricieux, inconscients du travail fait pour eux (car considéré comme « normal ») et réclament de l’aide au moindre bobo ».

En effet, bon nombre de RH ont dans leur champ d’intervention le service « Moyens généraux ». Autant dire : le fourre-tout des questions diverses pour lesquelles la réponse est « Je ne sais pas, demande à la RH… ». Si une réponse satisfaisante est apportée, cela est considéré comme normal puisque faisant partie des attributions (ah bon ? c’est noté où ?). Sinon, le RRH peut devenir rapidement le réceptacle des plaintes des salariés mécontents.

« Tout le monde a conscience qu’un comptable est primordial… Et nous ? Les gens croient qu’on organise des fêtes ? »

 

Problématique n°2 : les urgences & interruptions !

Qu’il y ait reconnaissance ou non, les requêtes sont autant d’interruptions répétées tous les jours… Les RRH accumulent de la frustration de ne pas pouvoir faire leur travail jusqu’au bout ou pas correctement.

Pour un nombre significatif de dirigeants, les RRH devraient « apprendre à dire non » face aux interruptions. Pourtant, ils peuvent participer au système (inconsciemment ou non) en créant de nombreuses « urgences » supplémentaires.

« Notre fragilité de RH c’est d’observer en nous, dans notre quotidien, que nous sommes en position de sauveurs ; trop souvent et à cause de l’affect. On a parfois un intérêt à ne pas vouloir sortir de cet engrenage, à ne pas vouloir aller mieux, car sinon on aura une perte de reconnaissance et une insécurité si on ose dire « non » ».

Difficile pour les RRH de se soustraire au système alors qu’ils constituent la roue centrale et qu’ils ressentent de la pression :

  • Si le/la RRH accède aux demandes ou exigences de la direction tout en refusant les requêtes des salariés, l’étiquette « à la solde du patron » peut vite être collée !
  • Difficile de vivre avec cette image là au quotidien dans un métier qui a pour vocation d’être au service des autres…

Alors les RRH font souvent leur possible pour répondre à tout le monde et un cercle vicieux s’installe.

 

Problématique n°3 : manque de clarté sur la place et les priorités

Si tout est « urgent », par facilité, il devient extrêmement complexe de définir ce qui est prioritaire… Pour qui ? Pour quoi ? Pour quand ?

Du point de vue de la direction, les tâches des RRH sont celles appartenant à la « gestion » et il y a communément un temps conséquent sous-estimé pour tout le reste. Les RRH aiment la gestion mais cela va bien au-delà du remplissage de fichiers. Notamment pour les petites structures, qui auront une seule personne aux RH, les RRH travaillent souvent de 8h à 20h ainsi que pendant leurs congés (et même les arrêts maladies) « sinon plus rien ne tourne ! ».

 « Si je voulais passer un peu de temps sur le terrain avec les salariés alors je prenais des dossiers chez moi le soir et les week-end… au détriment de ma famille ou de ma propre équipe ».

Dans les témoignages recueillis, plusieurs RRH usées me confiaient pouvoir être conviées aux réunions du CODIR… sans pour autant y avoir une place officielle. Alors que pour celles dans un environnement de réussites :

« Moi j’ai la chance de travailler avec un CODIR qui fonctionne très très bien. J’y ai une place officielle. Ce qui doit se dire est dit en CODIR, pas entre 2 portes ! »

 

Problématique n°4 : le yo-yo émotionnel

Au centre des interactions humaines, le responsable RH vit du « chaud / froid » quotidiennement et, la plupart du temps, l’incompréhension de son entourage autant professionnel que privé :

8h – Dépilage des derniers emails et découverte des premiers imprévus de la journée 

8h30 – Accueil de l’électricien

9h – Entretien d’embauche

10h – Une salariée vient raconter sa joie d’une réussite

10h30 – Problème de variables sur des fiches de paies, à refaire !

11h – Entretien de licenciement, le salarié se met en colère

11h30 – Urgence du DG…

12h – Urgences de 2 salariés

12h30 – « Bon alors ? Tu viens manger on t’attend ! »

13h – Ah non, finalement l’urgence du DG n’en est plus une… mais sandwich devant l’ordinateur car il y a une erreur dans un formulaire de rupture conventionnelle qui doit impérativement être renvoyée avant demain (« Mais comment j’ai pu me tromper !? La peur de ne pas être à la hauteur finissait par me faire faire des erreurs »)

 …

20h – Coup de téléphone de la maison, ton grinçant : « Tu nous feras l’honneur de ta présence à table ce soir ? »

21h – Le conjoint / la conjointe : « Cela n’a pas l’air d’aller encore une fois… »

23h – Sommeil… « Mais qu’est-ce que j’ai oublié pour demain ? »

Beaucoup de peurs sont associées… Je cite pêle-mêle : « Peur de ce qui va me tomber sur la tête », « peur de faire des erreurs », « peur de ne pas être à la hauteur », « peur de se prendre des reproches », « peur de ne pas arriver à prendre du temps pour moi », « peur de retomber sur une direction toxique », « peur de me montrer faible, il y a un côté tabou dans notre profession », « pour moi ce serait catastrophique de perdre mes soutiens actuels », « peur de ne pas savoir prendre soin de moi »…

 

Synthèse…

Engrenage de la surcharge, spirale négative, décalage entre la théorie et la réalité du terrain, frustration de ne pas mener les projets jusqu’au bout, difficulté pour prendre soin de soi, manque de reconnaissance, de compréhension, yoyo émotionnel…

Comment tenir le coup ? Revêtir une carapace, s’endurcir ? Certaines personnes le font… Mais c’est tout l’inverse des valeurs dans les RH et cela dégrade leurs relations privées.

« On ne se l’avoue pas en fait mais nous sommes les cordonniers les plus mal chaussés. On croit que comme on a une formation en relations humaines, aux RPS (Risques Psycho Sociaux), au harcèlement, et même parfois en psychologie, qu’on va pouvoir le détecter chez soi comme pour les autres… Eh non ! »

 

Qu’est-ce qui fonctionne dans tout ça ?

« On ne devrait pas être en conflit avec la direction : Les RH gèrent l’humain, la direction « l’ensemble ». Nous ne sommes pas là pour prendre la place de la direction. »

Parmi les RRH que j’ai pu interviewer, il se distingue facilement 2 types de situations :

  • Les personnes qui sont à la limite de craquer d’épuisement ou qui ont déjà craqué (burn-out)
  • Et celles qui dépensent également beaucoup d’énergie mais leurs projets au sein de l’entreprise progressent mieux et aboutissent à une meilleure qualité de vie au travail.

Le constat est clair et je l’ai déjà constaté sur le terrain moi aussi : pour les personnes dans la seconde situation, elles témoignent que si elles vivent à présent ces réussites c’est grâce à une restructuration au sein de l’entreprise. Il y a un véritable travail de binôme RH & Direction.

Eh oui ! Dirigeants et RRH ont souvent une problématique (taboue) commune : la solitude !

Plutôt qu’un long discours de ma part, voici des retours d’expériences :

« Avant que j’arrive, c’était une entreprise patriarcale. Il n’y avait pas vraiment de RH. Le directeur a accepté de faire un virage, de se remettre en question. »

« Je fais actuellement 60% de RH, j’aimerais faire plus. L’enjeu pour moi est de construire à l’échelle de toute l’entreprise. Je n’avais pas connu à ce niveau-là jusqu’à présent. C’est un challenge valorisant, important ! »

« Moi et ma technicienne RH nous partons une journée pour travailler dans le fun sur nos futurs projets (1 fois par trimestre) et nous faisons un petit journal « Savez-vous ce que les RH ont fait pour vous ? » pour communiquer. »

« Si je n’avais pas eu cette demi-journée par semaine avec la coach, avec tous les sujets, je pense que toute cette organisation n’aurait pas été possible. Sa vision d’ensemble, le regard extérieur qu’elle a, est hyper productif pour nous. Cela m’aide à prendre du recul, à sortir la tête de l’eau, prendre de la hauteur et voir les choses « en gros » avant d’aller tête dans le guidon sur un problème. »

« Le changement en Entreprise doit immanquablement passer… par les RH ».

 

Alors finalement, responsables RH, qui prend soin de vous ?

Vous.

Les clés sont en vous… et plus faciles à trouver en étant accompagné·e :

« Je donnais des clés et je me suis rendu compte après coup que je ne les appliquais pas à moi-même. »

« Organisée ? Oui ! Et pourtant : Je disais « j’ai pas le temps »… C’était une fausse excuse pour ne pas prendre soin de moi, ne pas prendre le temps pour l’important. Je mettais les autres en premier par éducation ».

« C’est ma fille qui m’a fait switcher en me disant « Mais Maman… si tu es dans cet état-là, la vie sans toi, si tu n’es plus avec nous, c’est trop triste, tu ne peux pas rester comme ça ». »

« J’ai acquis des clés que j’ai la capacité d’aller rechercher quand je veux, sur commande. »

« Personne n’a à se sacrifier, je me suis fait aider ».

Cerise sur le gâteau : et si un binôme fort « direction-RH » était possible ? Les témoignages de réussites le montrent…

Après tout, avec leurs responsabilités… Tous les deux ont besoin de soutien !

Et si vous osiez faire le premier pas ? Parlons-en…

Yannick Poiré

Venez me partager ce que vous vivez…